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Flexions de poignet : changez votre façon de faire !
Rudiments d'anatomie
Les muscles épitrochléens de la loge antérieure de l'avant-bras, dite des fléchisseurs-pronateurs, s'insèrent par un tendon commun sur la tubérosité interne de l'humérus (l'"épitrochlée"). A une exception près (le rond pronateur), ils sont tous fléchisseurs du poignet.
Les deux principaux fléchisseurs du poignet sont le grand palmaire et le cubital antérieur. Des deux, c'est le grand palmaire le plus important. Il va de la tubérosité interne de l'humérus, l'épitrochlée, à la partie antérieure du premier métacarpien, c'est-à-dire à la base du pouce. De sorte qu’on le fait travailler en déviation quand on exécute les flexions de poignets en supination avec les avant-bras appuyés sur les cuisses.
Un muscle dévié par un alignement articulaire incohérent est évidemment moins efficace qu'un muscle dont le trajet est rectiligne de sorte à ce qu'il soit tendu sans déformation d'une articulation à l'autre. Autrement dit, la force exprimable par les fibres musculaires est d'autant plus grande que les articulations se répondent plus directement et que le muscle est moins contorsionné.
A ce premier constat, on voit qu'au minimum, on serait mieux inspiré de troquer la supination contre une prise "physiologique" qui correspond à la position de la main quand on martèle quelque chose. Dans cette position, faire des flexions de poignet de côté à la poulie, bras vertical, est confortable. On peut aussi exécuter ses flexions assis et recroquevillé sur le côté, avec le bras appuyé en travers des cuisses. L'avant-bras est alors dans l'axe des fémurs, et la main pend en face du genou. Du point de vue des fléchisseurs, cela donne beaucoup de force, et de bons résultats, mais l'exercice est éprouvant pour le dos.
Les fléchisseurs du poignet sont des muscles pronateurs : ils doivent être travaillés en pronation
On notera que les muscles fléchisseurs du poignet dont nous parlons ici, et qui s'insèrent par un tendon commun sur la tubérosité interne de l'humérus, quand ils affectent la rotation du poignet, contrarient la supination et facilitent, amorcent ou même réalisent la pronation. Le rôle éponyme du rond pronateur, du fait de sa dénomination explicite, se passe évidemment de commentaire. Mais en dehors des professeurs d'anatomie, tout le monde semble ignorer premièrement que le grand palmaire aussi est en même temps pronateur (par l'abaissement du bord radial), et deuxièmement que le cubital antérieur fléchit non seulement le carpe sur l'avant-bras, mais encore le cinquième métacarpien sur le carpe; autrement dit, qu'il porte la main en adduction, mouvement associé non à la supination, mais à la pronation.
Il suffit de se représenter un instant la signification de la flexion de poignet du point de vue de l'évolution pour comprendre que la flexion en supination est proprement absurde et contre nature. Dans leurs mouvements locomoteurs, le loup et la panthère associent la flexion du poignet à l'extension du coude par le triceps. L'écureuil grimpe à l'arbre avec le creux de sa paume appliqué au tronc; il n'escalade pas avec le dos de sa patte! De même, l'alpiniste ou le lanceur se servent comme il faut de leurs poignets parce que leur geste est naturel. L'examen de ces situations fonctionnelles montre bien que ce mouvement réclame la rotation interne du bras et la pronation du poignet.
Quand la main est en supination, les flexions de poignet avec la barre sont souvent inconfortables à cause d'un conflit entre le mouvement naturel, qui à la flexion associe une adduction, et la contrainte rectiligne de la barre qui empêche ce mouvement. Telle que nous l'analysons, et bien que personne ne se soit jamais donné la peine de rechercher les causes de cet inconfort ou de la douleur articulaire fréquemment occasionnée, les raisons sont simples: la flexion du poignet est opérée par deux muscles, le grand palmaire - qui en est le principal artisan, et secondairement, un abducteur du poignet - et le cubital antérieur, qui est principalement un adducteur du poignet.
Pour que le grand palmaire agisse en qualité d'abducteur, comme dans le geste d'un pêcheur qui enlève un poisson hors de l'eau, il faut qu'à l'abduction, il associe une extension de la main entre les deux osselets - le scaphoïde et le trapèze - qui séparent le métacarpien du pouce de l'os du bras. De sorte que la flexion du poignet inhibe son abduction et débride l'action principale d'adduction de l'autre fléchisseur du poignet, le cubital antérieur. Celui-ci, en effet, est d'abord un adducteur du poignet, c'est-à-dire qu'il fléchit le poignet latéralement pour rapprocher le petit doigt du cubitus, comme dans le geste du forgeron qui martèle son enclume: il suffit de reproduire ce geste pour constater instantanément que l'adduction y est inséparable de la flexion. Or dans la flexion de poignets à la barre longue, mains en supination, la barre interdit l'adduction naturelle en empêchant toute mobilité articulaire. Le mouvement est contraint, donc pénible.
Flexions de poignet physiologiques et gain de force utile
Aux tortures absurdes et contre-productives des flexions de poignet avec une barre et les paumes vers le haut, il faut substituer des exercices physiologiques qui permettent le plein rendement sans dommage. Il est ainsi possible d'exécuter des flexions unilatérales avec un haltère court ou bien de faire des mouvements à la poulie avec la main en position physiologique. Mais le mieux, pour le gain rapide de force et de volume reste toutefois mon exercice favori: les flexions de poignets exécutées avec la barre derrière les jambes afin de pouvoir travailler à pleine force avec la main en pronation. En effet, en raison du rapport radio-cubital, quand la main est en pronation, ce n'est plus le cubital antérieur, fléchisseur du poignet, qui opère l'adduction, mais le cubital postérieur, qui est extenseur du poignet. La flexion du poignet est donc débarrassée du mouvement parasite qui la complique quand la main est en supination, puisque ce ne sont plus les muscles fléchisseurs, mais les muscles extenseurs du poignet qui sont censés opérer l'adduction.
On se rend aussitôt compte à l'essai qu'on est beaucoup plus fort aux flexions de poignets exécutées dans le dos qu'aux flexions de poignets exécutées sur les genoux. L'explication, c'est que l'extension de l'épaule, la rotation interne du bras, l'extension du coude et la flexion du poignet s'harmonisent spontanément. Il y a unité fonctionnelle. D'où un meilleur recrutement, et la sensation de force et de confort qui en résulte. En effet, les véritables fléchisseurs physiologiques du membre supérieur sont le biceps brachial, les dorsiflexeurs du poignet et les "extenseurs" des doigts. Inversement, les pseudo-"fléchisseurs" du poignet sont en réalité des extenseurs physiologiques (McDonald & McIntyre, 1954; Peggy Mason, 2011). Ainsi, le triceps, l'anconé, le grand palmaire artisan de la flexion du poignet et le fléchisseur superficiel des doigts sont nerveusement et mécaniquement associés. Quand la main est en pronation, la contraction du triceps "facilite" la préhension et la flexion du poignet, c'est-à-dire qu'elle l'améliore (et réciproquement). Les mouvements naturels comme le lancer du poids ou le direct du droit font intervenir cette chaîne deltoïde antérieur-triceps-fléchisseurs du poignet.
Ajoutons que dans l'exercice de flexion de poignets exécuté avec la barre derrière les cuisses, les bras sont tendus, ce qui a pour effet d'étirer, en plus du fléchisseur profond des doigts qui prend naissance sur les faces antérieure et interne du cubitus et se termine au bout des doigts, le fléchisseur superficiel qui croise l'articulation du coude et auquel la flexion de l'avant-bras sur le bras donne du mou, ce qui lui ôte de l'efficacité.
Ne verrouillez pas avec le pouce !
Dans les exercices de flexions des poignets présentés partout, avec les paumes vers le haut et les avant-bras en appui sur les cuisses, verrouiller avec le pouce est une erreur, d'une part parce que le pouce réduit la supination, et incline la main, ce qui ajoute à l'inconfort occasionné par l'adduction naturelle du poignet et d'autre part parce qu'on ne veut pas que le pouce travaille en qualité de doigt opposable, mais de doigt synergiste, et qu'il assiste la flexion au lieu de la limiter. Evidemment, le pouce ne représente pas exactement le même inconvénient qu'on ait les mains en pronation ou en supination, puisque l'opposition du pouce est associée à la pronation. Elle lui est donc naturelle, tandis que la supination contrarie l'opposition du pouce.
Cependant, l'usage du pouce limite la course interne dans les flexions de poignet exécutées derrière les jambes, ce qui est particulièrement contre-productif. Aussi, bien qu'il ne soit pas contraire à la biomécanique de verrouiller avec le pouce quand on fait ses flexions barre dans le dos (pronation), ce n'est pas très avantageux, étant donné que le pouce limite la course interne qui est la plus importante quand on est debout. En effet, c'est l'angle sous lequel la pesanteur joue son rôle maximum. Ne pas verrouiller permet de faire culminer l'intensité de la contraction, et aussi de tricher facilement en donnant un peu d'élan à des barres lourdes, ce qui a pour effet de donner rapidement beaucoup de force (et du volume) aux avant-bras.
Conclusion
Tout un article, à l'analyse anatomo-physiologique détaillée, pour expliquer qu'il faut radicalement remanier les flexions de poignets pour annuler tout risque et obtenir un rendement maximal en termes de gains de force? Oui, car l'utilité de cet article se faisait ressentir pour deux raisons capitales:
- - Premièrement, sur les milliers de publications probablement qu'il m'a été donné de lire, jamais je n'ai rien lu qui traite de ce sujet et jamais je n'ai rencontré personne, y compris dans les milieux professionnels, qui ait été à même d'expliquer les ressorts anatomiques un peu compliqués que je m'efforce de démonter ici. Il fallait donc bien finir par écrire quelque chose, et si possible quelque chose d'exhaustif afin de ne pas avoir à y revenir.
- - Deuxièmement, rien n'est plus utile que la force des doigts, des mains et des avant-bras. En 1952, Tanner a observé que l'adaptation musculaire la plus significative au bout de 4 mois de pratique de l'haltérophilie, c'était "une augmentation remarquable du tour d'avant-bras" [1]. Les avant-bras, c'est un fait, sont intensément sollicités en haltérophilie, en force athlétique et dans les compétitions d'hommes forts. Pour les renforcer, il est nécessaire de pratiquer les flexions de poignets avec des barres lourdes, et suivant les bons principes.
Notes
[1] Tanner, J. M. (1952). The effect of weight-training on physique. American journal of physical anthropology, 10(4), 427-462.