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Emmanuel Legeard

® Entraînement de force et nutrition

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Entretien avec Jean Texier du 5 mai 2011


L'oeil et la main

Jean Texier : Récemment, tu as entrepris un travail radicalement original et Nubret m'avait même confié l'an dernier que tu étais en train d'opérer un véritable bouleversement dans la façon de concevoir l'entraînement de culture physique. Ce que tu as écrit dernièrement sur l'entraînement fonctionnel des bras m'a considérablement frappé. Le bras n'est-il qu'un accessoire de la main?

Emmanuel Legeard : Paul Chauchard le disait déjà, le rôle principal du bras, c'est la préhension. Et l'organe de la préhension, chez les primates, c'est la main à pouce opposable. La moitié du cortex humain est consacrée à la main, et tout particulièrement à l'usage et aux sensations du pouce. Chez l'homme, il y a plus de volume cérébral dédié au pouce seul qu'à l'ensemble des viscères. Le bras n'a par rapport à la main qu'une fonction ancillaire, c'est-à-dire qu'il est au service de la préhension, il est subordonné à la main. Donc si on veut comprendre le rôle des bras pour mieux les entraîner, il est préférable de s'intéresser d'abord à la fonction des mains. C'est la main qui prolonge l'homme tout entier et qui le synthétise, en quelque sorte... qui le résume dans une finalité.

Jean Texier

Jean Texier : J'ai lu que tu soutenais que les mains sont primitivement des organes de la prédation?

Emmanuel Legeard : C'est moins une idée personnelle qu'un fait avéré. Le rôle le plus primitif de la main, c'est de capturer une proie. D'ailleurs, les mots prendre, prise, préhension ont conservé un sens éminemment prédateur. Prendre et préhension viennent d'un mot latin qui renvoie à l'idée de devancer, de prendre de vitesse, bref d'anticiper sur les mouvements d'une proie. De même, le mot "prise" vient de praeda, qui veut dire proie, et qu'on retrouve dans prédateur. Donc, prendre, c'est d'abord capturer une proie en anticipant sur ses mouvements.

Jean Texier : Bergson disait que l'humanité commence avec l'homo faber, c'est-à-dire avec la fabrication des outils... C'est un usage des mains plus sophistiqué que de simplement capturer des proies...?

Emmanuel Legeard : Il y a des primates non humains qui utilisent des outils, et il y a eu primitivement des hominidés, c'est-à-dire des hommes préhistoriques, dont rien ne prouve qu'ils en fabriquaient. L'Ardipithèque, par exemple, se servait sans doute essentiellement de ses mains pour capturer des animaux comestibles et faire la cueillette. C'était deux millions d'années avant les premières pierres taillées. Pourtant, il s'agissait bien d'un homme préhistorique. Il est exact, sans doute, que l'intelligence artisanale est la ligne de démarcation entre l'homme et l'animal. Mais à mon avis, ce n'est pas l'outil seul qui constitue la différence; c'est l'industrie, c'est-à-dire l'outil de second degré, l'outil pour fabriquer des outils, dont la conception technologique est proprement humaine parce qu'elle réclame la conscience de l'avenir et la faculté d'élaborer des projets.

L'Ardipithèque

Jean Texier : Autrement dit, l'homme est le seul animal à fabriquer des instruments pour façonner d'autres objets?

Emmanuel Legeard : Oui, mais à l'origine, en dehors des artéfacts religieux sur lesquels on ne peut évidemment rien affirmer de certain, c'est encore la prédation qui motive l'artisanat. L'homme est un chasseur et un cueilleur. S'il se déplace, c'est pour traquer le gibier, c'est en quête de l'aliment plastique et surtout énergétique, comme tous les animaux à sang chaud qui doivent paradoxalement payer par un surcroît d'activité la possibilité d'être plus actifs grâce à la production de chaleur interne: il leur faut alimenter constamment la chaudière métabolique. C'est pourquoi les outils primitifs ont servi d'abord à fabriquer du matériel de chasse et de pêche... et de boucherie (voir illustration). L'utilisation de ce matériel ne remplaçait pas la main, elle la prolongeait comme la main prolonge le bras.

Les Australopithèques charcutaient leur viande avec des outils de pierre

Si vis pacem... Cerebellum: le cervelet prédateur

Jean Texier : Est-ce que c'est à mettre en rapport avec ton hypothèse tout à fait passionnante du "cervelet prédateur" qui explique selon toi que les régions du cou et des mains soient les plus riches en fuseaux neuromusculaires?[6]

Emmanuel Legeard : C'est peut-être une hypothèse originale, mais elle n'est pas farfelue. Il y a de quoi l'étayer solidement. Chez nos ancêtres poissons, le cervelet est apparu en même temps que la mâchoire qui signale le passage à la prédation d'animaux qui avaient précédemment été filtreurs, puis charognards. Le cervelet est issu d'une duplication génétique des noyaux sensitifs d'un système principalement impliqué dans la prédation: la ligne latérale. Il semble que la fonction la plus élémentaire du cervelet consiste à évaluer les distances et à régler la coordination pour assurer la cadence des mouvements, vraisemblablement à l'origine à des fins de poursuite dans le sillage des proies, et de capture avec la mâchoire. Chez les chauves-souris insectivores qui sont parmi les plus archaïques des mammifères placentaires, l'écholocation s'est substituée à la vision, mais le fonctionnement est le même: le cervelet collabore avec le mésencéphale pour évaluer la distance des proies à capturer. Du point de vue génétique, le cervelet et le mésencéphale ont évolué en synergie...

Jean Texier : Le mésencéphale, c'est-à-dire le cerveau le plus ancien.

Emmanuel Legeard : Oui, le mésencéphale est ce que Paule Fougère appelait - de façon un peu inexacte, mais pittoresque - "le cerveau le plus ancien". Dès l'origine, le cervelet collabore étroitement avec le mésencéphale dont le centre supérieur de coordination, le noyau rouge, ne s'est vraiment développé qu'à partir de la locomotion à quatre pattes chez nos plus lointains ancêtres terrestres. Avec le passage de la locomotion reptilienne à la locomotion mammalienne, un nouveau système nerveux est apparu, le système moteur gamma à centralisation cérébelleuse qui commande aux fuseaux neuromusculaires. Le cou est alors devenu la région la plus riche en fuseaux neuromusculaires. Le rapport entre la gueule du prédateur et la proprioception du cou est évident.[5]

Jean Texier : Mais comment expliquer, à partir de là, le rôle du "cervelet prédateur" dans l'usage des mains?

Emmanuel Legeard : Avant que les mammifères aient pu se servir de leurs pattes, le membre utilisé pour la capture était le cou, et – pour paraphraser l'heureuse expression de “gueule préhensile” inventée par André Leroi-Gourhan – c'était effectivement la gueule qui tenait lieu d'extrémité préhensile. Voilà les réflexions qui m'ont amené à l'hypothèse que le noyau rouge et le paléocervelet avaient eu pour fonction supérieure ou "pré-volontaire" principale d'assurer successivement la capture avec la gueule, puis – chez les animaux plus évolués capables de manipulation – la capture avec les pattes suivant exactement le même mode d'action sur les muscles, à savoir: en procurant d'abord au cou, puis aux bras la raideur de contrôle nécessaire à la libération ici de la mâchoire, là de la main.[1]

Jean Texier : Tu dis que ces mouvements sont associés au lobe pariétal chez les mammifères.

Emmanuel Legeard : Oui, ils répondent à la question: "Où es-tu que je sache comment t'attraper?" qui procède de la plus ancienne voie du cortex, la voie dorsale associée au lobe pariétal, qui est la voie du chasseur-cueilleur. Chez les mammifères inférieurs, comme les rats - par exemple - qui attrapent des souris, des oiseaux, des lézards ou des rats plus petits pour les dévorer, la prédation est guidée par l'olfaction et la capture se fait avec la "gueule préhensile". Chez les primates comme les hommes ou les chimpanzés, en revanche, c'est la vue qui règle la prédation et la main qui capture. Les chimpanzés, par exemple, capturent de petits mammifères pour les manger comme le faisaient probablement les plus lointains ancêtres de l'homme, il y a 6 millions d'années.

"Où es-tu que je sache comme t'attraper?"

Jean Texier : Cela illustre une autre de tes hypothèses que tu argumentes de façon très convaincante; celle de la prépondérance des muscles fléchisseurs dans le contrôle des mouvements...

Emmanuel Legeard : Tout se passe en effet comme si l'évolution était conservatrice d'un certain tracé moteur descendant en diagonale et favorisant la flexion par rapport à l'extension. La complexité croissante du système nerveux central et le degré d'évolution psychique et intellectuelle de l'espèce ont répondu par des mutations d'abord à la locomotion terrestre, puis à la libération des membres antérieurs, et enfin à l'acquisition de l'habileté manuelle. Mais des poissons aux tétrapodes, et des tétrapodes primitifs aux mammifères, les trois voies qui se sont succédées comme systèmes de commande majeurs ont suivi des tracés singulièrement parallèles. A l'origine, le cerveau est un commutateur sélectif qui permet de passer rapidement de la locomotion à la nutrition, et inversement. Cette fonction de sélection s'est compliquée et raffinée, mais elle reste principale. Le système nerveux moteur des poissons primitifs y a d'abord répondu par l'élaboration de la formation réticulée qui fait à la fois fonction d'embrayage et d'alternateur des comportements élémentaires, au nombre desquels: dormir, s'éveiller, se battre, fuir, s'accoupler, etc. Le poisson, évidemment, ne connaît que la flexion. De même, chez les animaux très frustes à quatre membres marcheurs, l'activité "pré-volontaire" est principalement réglée par le noyau rouge, qui est le centre supérieur assurant la coordination motrice en agissant sur ou par les muscles fléchisseurs.[7]

Jean Texier : Mais chez les mammifères, ce système archaïque est supplanté par les voies nerveuses qui descendent du cortex?

Emmanuel Legeard : Les voies qui descendent du cortex sont croisées et les connexions les plus récentes font encore la part belle aux fléchisseurs. Mais il faudrait mettre les choses en perspective. Les premiers mammifères ont connu une mutation qui leur a permis de se soustraire à la concurrence et à la prédation des animaux à sang froid qui ont besoin de la chaleur du jour pour produire l'énergie nécessaire au bon fonctionnement des muscles. La mutation a produit un foyer de chaleur interne, la graisse brune, et les mammifères ont ainsi pu investir le milieu nocturne de la forêt. Mais évidemment, pour produire la chaleur, le métabolisme s'accélérait et il fallait donc compenser l'énergie dépensée par une quête alimentaire accrue. Le cerveau a connu une première poussée évolutive aux niveaux du mésencéphale et du cervelet, qui sont des centres de coordination locomotrice, la locomotion s'est améliorée grâce à l'adduction des membres dans le sens de la marche, et le système gamma s'est développé...[2][3]

Jean Texier : Le système gamma est largement automatique, non?

Emmanuel Legeard : Oui et non. Chez l'homme, le système gamma est largement sous l'influence du système volontaire. Mais c'est tout à fait exact que jusqu'aux primates,le cerveau contrôle les muscles essentiellement en libérant ou en bloquant des réflexes synergiques au niveau de la moelle épinière. Avec les primates, néanmoins, de nouveaux types de neurones sont apparus: les "corticomotoneurones" qui établissent des connexions directes avec les neurones moteurs innervant les muscles de l'épaule, du coude et des doigts. Ces connexions court-circuitent les réflexes synergiques "précâblés" au niveau de la moelle épinière. Mais il y a une continuité. Les corticomotoneurones ne transmettent pas n'importe quel type de commande. Ils transportent les influx nerveux destinés à la coordination avec la vision des gestes de capture avec les mains. Des gestes d'"atteinte et de saisie d'une cible", comme on dit.

Jean Texier : Ce que tu dis, si je comprends bien, c'est que les mains ont toujours été associées prioritairement à la capture. Mais est-ce qu'un système nerveux évolué fait toujours appel en priorité aux muscles fléchisseurs à des fins de contrôle?

Emmanuel Legeard : Oui, dans la lignée des primates, les corticomotoneurones directs ont évolué avec la voie dorsale du cortex utilisée pour le traitement spatial du "Où es-tu que je sache comment t'attraper?" Or toutes les études menées entre 1971 et 2010 ont montré que ces corticomotoneurones semblent se projeter plus favorablement sur des neurones médullaires commandant aux fléchisseurs.

Evolution du bras et exemples pratiques

Jean Texier : Qu'est-ce qu'on sait de l'évolution du bras?

Emmanuel Legeard : Les pattes antérieures des quadrupèdes sont conçues pour soutenir le corps en stabilisant l'appui par la co-contraction des antagonistes biarticulaires. Le train postérieur est conçu pour la propulsion. Avec le passage à la locomotion mammalienne, l'adduction des membres parallèlement au corps a permis les allures phasiques entre autres parce que le membre est replié en Z dans le plan de la course et que les antagonistes biarticulaires conservent une longueur à peu près invariable. Le parallélisme des membres a aussi permis le passage du déplacement à quatre pattes au déplacement sur deux pieds qui a libéré le bras et la main. Primitivement, le bras libéré des premiers hominidés a servi au transport, et la main à la cueillette et à la capture. L'artisanat du chasseur et le maniement des armes de jet se sont ajoutés à ces fonctions primitives. Fonctionnellement, ce qui n'a pas varié, c'est la combinaison de la force avec l'équilibre en fonction de l'effet d'extrémité. Ainsi, la finalité de l'épaule n'est pas de stupidement "lever le bras", mais de diriger la main dans l'espace.

Evolution des membres chez les mammifères

Jean Texier : Quelles sont les applications pratiques?

Emmanuel Legeard : La fonction des muscles biarticulaires des membres, comme le biceps et le triceps, c'est de prévenir la perturbation des trajectoires intentionnelles en procurant la raideur nécessaire à l'irradiation de la force qui se propage de la racine des membres vers leur extrémité: la main. C'est pourquoi les gymnastes ont toujours les bras très musclés. Les mouvements balistiques, les mouvements trichés, les mouvements avec des poids libres, les mouvements avec des haltères courts, les mouvements rapides de freinage, les mouvements pliométriques, les mouvements aux anneaux ou encore marcher sur les mains constituent des exercices remarquables. Mais il y a une infinité de conséquences à en tirer. Par exemple, du point de vue anecdotique, regarder ses mains quand on exécute un mouvement de flexion de l'avant-bras sur le bras permet d'augmenter l'intensité de la contraction. C'est l'influence dynamogénique du regard sur la main. Il existe encore bien d'autres éléments dont on peut tenir compte: ouvrir la main, serrer le poing, varier la section des prises affecte le recrutement très différemment. De grosses prises améliorent la force de contraction du biceps, la prise ouverte rend les développés plus faciles, etc.

Jean Texier : Tu parles des agrès mobiles, comme les anneaux... les culturistes californiens des années 60 comme Larry Scott les employaient beaucoup, par exemple dans les écartés. Penses-tu aussi qu'il y a un avantage à pratiquer le grimper de corde si nous sommes primitivement programmés pour la vie dans les arbres?

Emmanuel Legeard : En tant qu'humains, on ne peut pas dire que nous soyons primitivement programmés pour grimper dans les arbres, ni pour marcher sur les poings comme les gorilles. Le groupe des "hominidés", c'est-à-dire la lignée humaine différenciée il y a environ 6 millions d'années avec l'Ardipithèque n'a jamais été obligé de traverser ces paliers d'adaptations successives de la suspension arboricole et de la marche sur les phalanges pratiquée par les chimpanzés et les gorilles. Nos mains ne servent qu'accessoirement à grimper. Elles servent d'abord à capturer, à manipuler et à lancer. Leurs proportions sont d'ailleurs très défavorables à la progression de branche en branche à l'aide des bras. Dès les premiers hominidés, le pouce s'est allongé et les autres doigts ont rétréci. Le pouce n'est pas un doigt comme les autres. Comme tu sais, l'architecture des individus vivants est déterminée par de nombreux gènes homéotiques responsables chacun d'un secteur précis du plan d'organisation corporel. Or le développement du pouce dépend spécifiquement des gènes Hoxd13 et Hoxa13. Il est donc indépendant du radius et des quatre autres doigts dont le développement est régi par un gène différent, Hoxd11.

Larry Scott

Jean Texier : C'est le résultat d'une adaptation de quel type?

Emmanuel Legeard : C'est un cas ici d'exaptation. C'est-à-dire, pour reprendre le mot de Lucien Cuénot, que c'est l'organe qui a créé la fonction, et non la fonction qui a créé l'organe. Qu'une mutation provoque l'élongation du pouce et le raccourcissement des autres doigts, et l'animal va se mettre à utiliser de manière opportuniste ce nouvel appareillage en lui trouvant une fonction. C'est un phénomène semblable au "marteau de Janet": "Donnez un marteau à un enfant, et il découvrira la présence des clous." Donnez à un animal un pouce opposable et une main proportionnée, et il va s'apercevoir qu'il peut manipuler et fabriquer des outils. Et c'est à ce stade, comme tu le disais tout à l'heure, qu'on peut commencer à parler d'humanité: l'outil manufacturé. L'homme a depuis l'origine un pouce long, les quatre autres doigts courts et le radius court, ce qui donne à son bras et à sa main des aptitudes très différentes de celles des singes. C'est grâce au pouce et à la mobilité du radius qu'on peut manipuler les objets finement. Du côté du cubitus, les doigts servent surtout à serrer. Le pouce humain a également conservé et développé des muscles qui ont disparu chez les singes sauf dans la famille des Gibbons: le long fléchisseur et le court extenseur. Enfin, l'aire néocorticale dévolue au pouce est immense chez l'homme. C'est dire son importance du point de vue de l'évolution.

Pompes verticales

Jean Texier : C'est nous qui avons les bras courts ou les singes qui ont le bras long?

Emmanuel Legeard : Ce sont les grands singes d'Afrique et d'Asie qui ont le bras long, évidemment. Ils sont extrêmement dérivés et spécialisés par rapport au schéma structurel primitif de l'ancêtre commun aux hommes et aux singes qui avait des membres de longueur égale. L'Ardipithèque avait des bras et des mains qui laissaient déjà présager les nôtres. C'était il y a entre 5 et 6 millions d'années. Du point de vue morphologique, crâne à part, l'homme est un primate relativement généraliste qui descend de primates non-spécialisés. En conséquence, on peut soutenir que ce sont ses bras à lui qui peuvent servir de standard de référence. Mais c'est toujours très délicat de juger une espèce par rapport à une autre. En biologie, ça n'a pas beaucoup de sens.[4]



Notes

[1] La vraisemblance de cette hypothèse personnelle m'a été confirmée par courrier privé par le Professeur Jan-Hendrik ten Donkelaar, de l'Université de Nimègue, qui fait autorité en la matière [il me répond: "A role in prey-catching with the forelimbs or the mouth as in snakes, controlled by the red nucleus and the spinocerebellum, would certainly be a good option."]

[2] Tous les mammifères ont un foyer de graisse brune. Au contraire, les oiseaux produisent leur thermorégulation grâce aux muscles. J'ai il y a quelques années proposé que c'était la raison pour laquelle les oiseaux développaient leur musculature par un processus d'hyperplasie, tandis que les mammifères ne connaissaient que l'hypertrophie musculaire. Cela m'a été confirmé plus tard par le Professeur Stuart Newman du New York Medical College et spécialiste mondial de la question.

[3] Les fuseaux neuromusculaires du cou et de la gueule du chien, par exemple, sont sensibles aux neurohormones du stress et la force de la morsure "automatique" dépend de l'intention d'attaquer. Evidemment, ces fuseaux neuromusculaires sont commandés par le système gamma qui lui-même est sous la puissance du cervelet. Il est communément admis parmi les physiologistes que les muscles riches en fuseaux neuromusculaires sont rouges à cause du tonus myotatique. Les muscles fléchisseurs des membres sont moins riches en fuseaux neuromusculaires, plus blancs parce que moins automatisés. Surtout, au niveau de l'épaule et du bras, la sensibilité des fuseaux aux hormones du stress serait un facteur de perturbation considérable dans un mouvement comme le lancer d'une sagaie, par exemple, parce qu'il faut doser, viser, se montrer intelligent. Or Banks a prouvé que la région la moins riche en fuseaux neuromusculaires, c'était la ceinture scapulaire. Au contraire, une main capable d'enregistrer des automatismes est un avantage: le chasseur ou le guerrier ne doit pas avoir à réfléchir à ses mains. Il en va de même du cordonnier ou de l'écrivain.

[4] Récemment, le Professeur Owen Lovejoy, le célèbre paléoanthropologue américain spécialiste des origines de l'homme, m'a fait l'amitié de confirmer personnellement le bien-fondé des propos que je tiens ici, mais il a insisté avec raison sur le fait - comme je le disais plus haut - que l'avant-bras humain s'est aussi raccourci dans le processus de réduction des quatre doigts opposés au pouce parce que leur transformation est gouvernée par le même gène.

[5] A en juger par ses zones de répartition, l'expansion du réseau proprioceptif chez les mammifères a très certainement servi en priorité a coordonner les trois segments de la colonne vertébrale, notamment dans les allures phasiques spécifiques aux mammifères: bonds, galop, etc. Ces allures en effet, sont dues à la libération de la colonne vertébrale dans le plan vertical et au débridage de la hanche et des omoplates. Une telle coordination entre la tête et le reste du corps permet d'éviter le phénomène du tangage dans la course et de conserver dans sa ligne de mire une proie qu'on traque. Cependant, cette hypothèse concernant l'origine de la répartition axiale des organes de la proprioception reste à démontrer. Le Professeur Robert W. Banks, spécialiste de l'étude des fuseaux neuromusculaires, l'a appelée "la nouvelle hypothèse Legeard". A noter: le régime de contraction le plus naturel de la musculature cervicale est le régime isométrique.

[6] On constatera que je ne dis pas exactement ça. Les fuseaux neuromusculaires des mains ont des fonctions multiples, entre autres d'équilibration et de précision. Ce sont les petits muscles de la main comme les lombricaux qui, avec les muscles profonds du cou, comptent le plus de fuseaux neuromusculaires par gramme. Ils sont presque entièrement composés de fibres lentes. Sans doute, il est important que les muscles des mains soient des muscles lents. En effet, les gros motoneurones spécialisés dans les mouvements rapides innervent un nombre de fibres beaucoup plus important que les petits motoneurones toniques des fibres rouges. Or plus une unité motrice compte de fibres musculaires, plus le mouvement est grossier. A cause de la motricité finement nuancée des mains, le nombre de fibres musculaires par unité motrice est très faible; certaines n'en contiennent pas 15, alors que les unités motrices des cuisses peuvent en contenir jusqu'à 2000! Les muscles rouges et les muscles blancs ont par conséquent des modes de contraction très différents. Ainsi, c'est par l'élévation graduelle de la fréquence de décharge que les muscles rouges augmentent leur force, tandis que les muscles blancs augmentent la leur par l'élargissement du recrutement. Le Professeur Hans-Peter Clamann, de l'Université de Bern, m'avait communiqué il y a une dizaine d'années l'information intéressante qu'au cours de ses recherches avec Kukula, il avait découvert vers 1980 que les gros muscles phasiques n'atteignent leur recrutement total qu'à partir d'un effort d'une très grande intensité (supérieur à 85%), tandis que les muscles de la main recrutaient toutes leurs unités motrices dès 30% d'intensité, l'accroissement de la force au-delà de ces 30% se faisant par l'élévation de la fréquence de décharge et le maintien de la fréquence maximale une fois le plafond atteint (ce qui avait déjà été établi par Gydikov et Kosarov en 1972 et 1974). Tout cela m'a conduit à recommander des mini-séances très brèves, très intenses et très fréquentes pour développer la force des mains, plutôt que des séances "culturistes" au volume et très espacées qui me semblent parfaitement inutiles, compte tenu des spécificités en question.

[7] Voir l'entretien avec Anthony Baptiste, préparateur physique d'élite.

Emmanuel Legeard

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