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Courir : Aspect biomecanique par Marc Vouillot
Marc Vouillot est l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de la préparation physique de force. Il enseigne dans le cadre de la formation aux brevets et aux diplômes d'Etat au sein des CREPS de Talence et de Montpellier.
Acquérir une biomécanique de course efficace est nécessaire pour atteindre les trois objectifs suivants :
- Prévenir les blessures
- S’assurer de l’exploitation complète du potentiel neuromusculaire du coureur
- Optimiser son économie de course
Description d’une foulée de course
Une foulée se décompose classiquement en une phase d’appui et une phase de suspension. La phase d’appui correspond au temps où le pied du coureur est en contact avec le sol et elle se divise en trois phases :
- La phase d’amortissement, qui débute à l’instant où le pied entre en contact avec le sol et se termine au moment où la projection verticale du centre de gravité coïncide avec la verticale de l’appui.
- La phase de soutien, lorsque le centre de gravité est à l’aplomb de l’appui au sol. La force est utilisée afin de soutenir le centre de gravité.
- La poussée, qui commence au moment du soutien et se termine lorsque le pied quitte le sol. La composante des forces exercées par le coureur est orientée dans le sens de son déplacement ; c’est la phase motrice par excellence.
- La phase de suspension se situe entre l’instant où le pied quitte le sol et celui où le pied opposé reprend appui. Cette phase aérienne privant le coureur de point d’appui n’a aucune action motrice.
La description fonctionnelle de la foulée va nous permettre d’expliquer comment la phase initiale de l’appui, l’amortissement, qui paraît a priori comme une phase freinatrice, conditionne le rendement énergétique et l’efficacité de la course.
A chaque fois qu’il touche le sol, le corps d’un coureur se comporte comme un ressort capable de recevoir et de restituer de l’énergie. En effet, le coureur, masse en mouvement, possède une énergie cinétique dont il envoie une partie au sol à chaque appui. Le sol lui restitue à son tour une partie de cette énergie (force de réaction au sol), énergie que le corps est capable, tel un ressort, d’emmagasiner et de restituer.
La phase d’amortissement devient la phase de compression du ressort corporel. Cette pression s’applique à tout le corps, mais c’est au niveau des membres inférieurs qu’elle est la plus difficile à contenir. Elle tend à plier le membre, fermant la cuisse sur la jambe, réduisant l’angle du genou et étalant le pied au sol.
L’action des muscles, et plus particulièrement du quadriceps, permet de contrecarrer cette tendance à l’affaissement. La longueur des muscles s’accroît, leurs insertions s’éloignent, la tension qui s’exerce sur eux par l’intermédiaire des tendons augmente.
Cette mise en tension avec augmentation de la longueur initiale des fibres représente une contraction excentrique. C’est cette mise en tension globale des structures contractiles et élastiques qui permet d’emmagasiner de l’énergie avant de la restituer dans la contraction concentrique qui suit (plyométrie, réflexe myotatique + composantes élastiques du muscle).
L’efficacité de l’ensemble de ce mécanisme suppose le respect de certains principes :
- Une mise en tension optimale suppose l’anticipation de l’appui au sol ou encore de l’armement du pied dont parlent les entraîneurs.
- La mise en réserve d’énergie dans les structures contractiles et élastiques suppose que celle-ci ne se disperse pas dans le reste du corps ou dans le sol (d’où la difficulté de la course dans le sable par exemple) Si au moment de l’impact, le corps se déforme, une partie de l’énergie ne sera pas exploitée. La mise en réserve d’énergie suppose donc un maintien, une tonicité totale du corps, qui met en évidence l’importance des muscles posturaux ainsi que du gainage abdominal.
- La transmission de l’énergie aux structures contractiles et élastiques nécessite de poser le pied en trouvant le bon compromis entre l’appui plantaire et le talon. En effet il serait souhaitable de favoriser, dans la mesure du possible l’appui plantaire, car celui-ci va permettre une meilleure restitution de l’énergie potentielle (le bras de levier de la voûte plantaire transmettant ainsi une tension plus importante au tendon d’Achille).
Comparaison de deux grands types de foulée
Dans le cycle arrière, l’essentiel du mouvement aérien du membre inférieur se fait derrière le corps, alors que dans le cycle avant, le membre, dès qu’il quitte le sol revient rapidement sous la fesse puis vers l’avant. L’analyse phase par phase va nous montrer les conséquences biomécaniques de ces différences de style.
La prise de contact avec le sol
Cycle arrière : jambe « en retard », pied arrivant précipitamment de l’arrière et du haut, venant frapper le sol, souvent avec le talon, dans le sens inverse au mouvement (le pied avance dans la chaussure). Le coureur est freiné, les éléments élastiques ne peuvent jouer leur rôle de ressort, l’énergie est dispersée dans le corps. Le membre inférieur est fléchi, le bassin en antéversion.
Cycle avant : le pied entre en contact avec le sol en plante. Il a un mouvement d’avant en arrière « griffé », réduisant considérablement le freinage (le pied recule dans la chaussure). Le membre inférieur est tendu, le bassin est haut et placé (neutre), la mise en tension des structures élastiques est grandement favorisée.
La phase de soutien
Cycle arrière : le pied, passif, s’aplatit au sol, permettant la fermeture de l’angle de la cheville. Le membre porteur est en flexion, le genou se plie. L’athlète a tendance à s’affaisser, il ne résiste pas à la déformation, l’énergie se disperse. Le membre libre est encore en arrière du membre porteur, dans un mouvement vers l’avant et vers le bas qui alourdit le coureur. La bascule du bassin en antéversion s’accentue.
Cycle avant : Le pied est en appui sur la plante, le membre porteur en légère flexion, mais solide, les articulations fermement tenues par la contraction musculaire, résistant ainsi à l’affaissement. La cuisse du membre libre est en avant du membre porteur dans un mouvement ascendant diminuant la charge, le bassin est haut et placé (neutre). La mise en réserve de l’énergie élastique est favorisée, la qualité du renvoi déjà préparé (allégement, temps court au sol).
La poussée
Cycle arrière : la poussée est complète mais le membre libre n’a pas encore atteint son niveau le plus haut.
Cycle avant : la jambe de poussée peut ne pas être complètement dans le prolongement de la cuisse, le membre libre est déjà prêt à engager son mouvement de retour vers le sol.
Les deux styles de course précédemment analysés ne représentent évidemment que des modèles généraux. Il appartiendra donc à chacun de trouver le bon compromis afin d’en tirer le meilleur bénéfice et d’éviter ou minimiser les risques traumatiques (une préparation physique peut-être également envisagée afin de compenser certaines faiblesses, notamment en matière de gainage et de puissance musculaire).
Revue Scientifique de Préparation Physique, 2014, Vol. 1, N°1, pp. 5-12
ISSN 2297-234X